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Papeete a 131 ans

Papeete a 131 ans

Le 20 mai 1890, le président de la Troisième République Sadi Carnot signait le décret de création de la commune de Papeete, la première à être instituée dans les Établissements Français de l’Océanie (EFO, ancien nom de la Polynésie française jusqu’en 1957). Elle fête donc son 131e anniversaire.

Papeete tire son nom de la terre Pape’ete, « l’eau qui jaillit », sise au cœur de la ville et propriété de la famille royale Pomare. Elle fut fondée en 1818 par le pasteur protestant anglais William Crook qui y bâtit un temple, un hospice et une école.

Les trois bâtiments construits par William Crook à Paofai vers 1820 – LMS (1831)

Ce qui n’était encore qu’un hameau tahitien parmi d’autres prend de l’importance quand la reine Teremoemoe choisit de s’y installer après la mort de son époux, le roi Pomare II, en 1821 et inscrit sa fille Aimata à l’école du pasteur Crook. Papeete devient alors le centre de la vie politique, économique et religieuse du royaume. En 1827, le petit roi Pomare III meurt à l’âge de six ans, victime d’une dysenterie foudroyante. Sa sœur Aimata lui succède sous le nom de Pomare Vahine IV, elle n’a que quatorze ans.

Tahiti et ses îles font alors l’objet d’une rivalité entre la France et l’Angleterre. Papeete est au cœur de cette lutte d’influence qui prend aussi un aspect religieux. En 1836, deux pères français, Honoré Laval et François d’Assise Caret, tentent d’y fonder une mission catholique. Ils sont aussitôt expulsés sans ménagement par la jeune reine Pomare sous l’emprise des missionnaires protestants britanniques. La France réagit par une pression militaire qui aboutira finalement au placement du royaume sous protectorat français en 1842.

Le capitaine de vaisseau Armand-Joseph Bruat, premier gouverneur des EFO, débarque à Tahiti le 4 novembre 1843 et choisit aussitôt Papeete comme quartier général. « Pour rester maître du pays, écrit-il, il faut occuper le port où se font les transactions.» Six mois plus tard, Papeete a déjà complètement changé. Constructions militaires et civiles, voies, ponts, donnent un aspect « moderne » à la ville, dont la population a beaucoup augmenté. La situation politique reste toutefois confuse. Certains chefs soutiennent le protectorat, tandis que d’autres, ceux de la Presqu’île notamment, demeurent fidèles à la reine et contestent la présence française.

Une période troublée s’ensuit, ponctuée de conflits violents et meurtriers de part et d’autre. Bruat fait fortifier Papeete pour protéger ses accès à l’est et à l’ouest, tandis que les rebelles se retranchent dans les collines, au Diadème notamment, menant des actions de guérilla en ville. L’ordre et la paix ne sont rétablis qu’en 1846.

Pomare IV, réfugiée aux îles Sous-le-Vent depuis 1844, accepta de rentrer à Tahiti en février 1847, établissant sa résidence officielle à Papeete. Elle régna ensuite pendant plus de trente ans, sous la houlette de pas moins de treize gouverneurs, commandants et autres commissaires français se succédant auprès d’elle jusqu’à sa mort, le 17 septembre 1877. Trois ans plus tard, le 29 juin 1880, son fils et héritier, le roi Pomare V, cédait ses États à la France.

Le 20 mai 1890, la commune de Papeete était officiellement créée sur le modèle des municipalités françaises avec François Cardella comme premier maire. Elle restera la seule et unique de la colonie pendant plus d’un demi-siècle, jusqu’à l’institution de la commune d’Uturoa (Raiatea) en 1945.

Au tournant du vingtième siècle, la vie s’y écoule paisiblement. La ville grandit à la faveur du développement économique et d’un tourisme naissant. Un recensement de juin 1902 révèle que Papeete compte précisément 3 720 habitants, soit la moitié de la population tahitienne.

Le marché de Papeete à la fin du XIXe siècle (Archives de la Polynésie française).

Pourtant, dans ce ciel serein, le malheur va frapper. Dans la nuit du 7 au 8 février 1906, la ville est inondée et en grande partie ravagée par un cyclone. Aussitôt reconstruite, elle va bientôt connaître un nouveau drame. Au matin du 22 septembre 1914, deux croiseurs allemands, le Scharnhorst et le Gneisenau, canonnent le centre-ville, la moitié de Papeete brûle. Quatre ans plus tard, à la fin de la guerre, les braves Poilus tahitiens de retour au fenua y introduisent la grippe espagnole. Trois mille Polynésiens en sont victimes, dont six cents rien qu’à Papeete qui ne comptait alors que cinq mille habitants.

Rue de la Petite-Pologne (actuelle rue Paul-Gauguin) après un cyclone (1906) – Mémorial polynésien

Entre les deux guerres, Papeete se développe rapidement. Ville cosmopolite, elle accueille des représentants de dix-neuf nationalités à la fin des années 1930, les étrangers représentant environ un tiers de la population. La voirie est adaptée à une circulation plus dense. En partie sous l’influence de Paul Gauguin, mort aux Marquises en 1903, Tahiti devient une destination prisée des artistes et des intellectuels. Depuis l’ouverture du canal de Panama en 1914, Papeete est une escale fréquentée par les paquebots de croisière. À l’aube sinistre de la Seconde Guerre mondiale, c’est déjà une capitale économique prospère centralisant les institutions et les services nécessaires au fonctionnement de la colonie.

Pendant les années 1950, Papeete conserve son aspect de bourgade tropicale paisible et ensoleillée. Personne ne mesure réellement la portée du discours prononcé par le général de Gaulle sur la place Tarahoi lors de sa visite en août 1956, annonçant l’avenir atomique de la Polynésie française. Un hydravion se pose chaque semaine dans le lagon avec le courrier. Le centre commercial et le port sont très actifs, l’ambiance y est plutôt joyeuse et bon enfant. On voit encore peu de voitures, mais la circulation est déjà intense. Le scooter fait une entrée triomphale. La bicyclette reste la petite reine des classes populaires. L’artisanat est en plein essor. Il y a trois cinémas et une douzaine de dancings dont le célèbre Quinn’s Tahitian Hut.

Le port de Papeete dans les années 1950 – Mackenzie.

Cette quiétude est brutalement interrompue en 1963 par le débarquement de cinq mille soldats et techniciens français, chargés d’installer et de mettre en œuvre le Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP). L’aéroport de Tahiti – Faa’a, inauguré deux ans plus tôt, reçoit ses premiers vols long-courriers en provenance de France via Los Angeles. Des chantiers pharaoniques, comme l’extension du port, exigent une main-d’œuvre abondante. Paumotu, Raromatai, Marquisiens, Mangaréviens et Tuhaa pae affluent des archipels pour profiter des emplois et de la manne providentielle qui s’abat sur le pays. Mais le quotidien est moins souriant.

Les familles campent comme elles peuvent dans des logements de fortune, des cabanes en tôle et en pinex, créant des bidonvilles dans les vallées et sur les collines. En quelques années, la population de Papeete s’accroît de près de quinze mille habitants, aggravant les difficultés déjà insurmontables de la municipalité. Et cela d’autant plus que la capitale accueille chaque jour les milliers de travailleurs, scolaires et chalands domiciliés dans les communes voisines. L’hôpital de Mamao entre en service en avril 1970.

À partir du milieu des années 1970, la lutte contre l’habitat insalubre devient la priorité de la commune. Des quartiers entiers sont éliminés, des logements sociaux plus modernes sont mis en service à Mamao, Tipaerui, Titioro, Taunoa, La Mission… Un nouveau marché municipal à étage est construit, ainsi qu’une série d’édifices publics d’un style nouveau, dit néo-polynésien : assemblée, haut-commissariat, maison de la culture…

En octobre 1987, à la suite d’une grève des dockers particulièrement tendue, des émeutes éclatent laissant le centre-ville en cendres. Le 16 mai 1990, le président de la République François Mitterrand, en visite officielle à Tahiti à l’occasion du centenaire de la commune de Papeete, inaugure le nouvel hôtel de ville à l’architecture inspirée par l’ancien palais royal des Pomare. En septembre 1995, Papeete est à nouveau victime d’émeutes provoquées par une reprise des essais nucléaires aux Tuamotu à l’issue d’un moratoire de trois ans. Le centre-ville est encore saccagé et incendié. Le dernier essai nucléaire français dans le Pacifique, baptisé Xoutos, a lieu à Fangataufa le 27 janvier 1996.

Entrée de plain-pied dans le vingt-et-unième siècle, Papeete s’est progressivement adaptée à sa vocation de centre touristique régional et s’est attachée à renforcer la cohésion sociale d’une ville composée d’une multitude de quartiers aux identités marquées. Elle est une des rares villes du Pacifique sud insulaire, sinon la seule, à disposer d’un système d’assainissement collectif moderne et écologique. Le front de mer a été aménagé, des infrastructures sportives ont été créées ainsi que des espaces verts et les quartiers ont tous été successivement équipés d’installations collectives de proximité.